Cocaïne, whisky et p’tit pépé

Initialement publié les 1er et 2 décembre 2019 sur Wattpad dans le cadre du calendrier de « L’Avent Tuera ».

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À 89 ans, George Waterloo estime avoir déjà bien assez vécu.
Patron d’un bar accolé à une salle de concert pendant 35 ans, il a eu trois enfants avec la femme de sa vie, hélas partie beaucoup trop tôt. Ces trois abrutis lui ont fait sept petits-enfants, et ceux-ci lui en ont même fait 2 arrières.
Veuf depuis 50 ans cette année. À la retraite. Et avec, dans les pattes, un médecin traitant qui lui interdit l’alcool et limite ses clopes. Sans compter qu’il y a quelques mois, ses petits-enfants l’ont fait enfermer de force dans une foutue maison de retraite. Que lui reste t-il au juste de sa vie d’avant ?
Lui qui fût, toute sa vie durant, un chien fou indomptable, jamais en retrait quand il s’agissait de coups tordus, se retrouve aujourd’hui ceinturé, domestiqué, contrôlé par un gang de personnel médical lui interdisant de faire les choses qu’il aime le plus.

Au moins la maison des grabataires a t-elle le bon goût de se trouver au bord de la plage. Et, comme il n’a insolemment toujours besoin d’aucune sorte d’aide pour se déplacer, a-t-il reçu l’autorisation d’aller s’y promener. Tout du moins tant qu’il revient bien pour l’heure du souper. Hélas, comme les vieux ça mangent tôt, ça ne fait pas tant d’heures que ça de liberté par jour.
Il ronchonne tout en foulant la grève. Qu’est-ce qu’ils pourraient bien lui faire, tous ces peignes-cul, s’il ne revenait pas, hein ? Et puis d’abord, c’est pas des jeunes cons dans leur genre qui vont lui donner des ordres, à ça non. Plutôt crever.

Il marche un moment au bord de l’eau, puis s’arrête, regarde à droite et à gauche. Comme il est seul, bien caché au pied de la digue, il s’assied à même le sable. « Et vas-y, que ça va encore grogner parce que j’ai sali mes braies », pense t-il, puis cette pensée le fait ricaner. « Qu’elles grognent, les petites bécasses. Ça les changera des culs à torcher. »
Il sort d’un petit sac en kraft une grande bouteille de whisky achetée 30 minutes plus tôt à la supérette. La petite jeune à la caisse le connaît, à force. Il est là presque tous les jours à l’ouverture. Même qu’il lui arrive de revenir une ou deux fois dans la journée quand il déprime. Bien qu »il évite de laisser ça arriver trop souvent, car il doit pouvoir rester parfaitement maître de lui même face à la garde armée de batteries de cachetons, au risque de s’en voir bourré lui aussi. Et même si la gamine doit aussi connaître quelques infirmières, vu qu’il s’agit du commerce le plus proche de l’hôtel aux vieux, elle ne l’a jamais dénoncé.
Il ouvre sa bouteille, s’en enfile une bonne rasade. Elle lui fait un peu penser à lui au même âge. Enfin, dans les grandes lignes. Il n’a jamais eu les cheveux bleus, c’est vrai. Et à son âge, il n’était pas encore tatoué, alors qu’elle, à même pas 20 ans, arbore déjà une manchette complète. Et peut-être même plus, probablement plus, mais elle n’est jamais fort déshabillée, la gosse. En même temps, la météo ne s’y prête pas vraiment depuis son arrivée.
Il pense encore un moment à la fille tout en vidant sa bouteille. Il aurait aimé qu’un de ses petits-enfants soit un peu comme elle. Un peu comme lui. Au lieu de ça, toute sa famille semble s’être liguée comme lui et contre sa façon de vivre.

C’est pour ça qu’il boit seul en cette matinée de réveillon de Noël au lieu de passer la journée chez son aîné, comme tous les autres membres de sa famille.
Ce mange merde a eu le culot de lui dire qu’il n’y aurait pas d’alcool à sa table pour les fêtes. Ni vin, ni bière, ni rien. Pour l’aider, qu’il a osé ajouter. L’aider dans sa cure, forcée, de désintox. Comme s’il avait besoin d’un truc à la con comme ça. Comme s’il avait un problème avec l’alcool. Il ne boit pas parce qu’il ne sait pas comment arrêter, il boit parce qu’il en a envie. « Rien à voir », maugrée-t-il en avalant une lampée supplémentaire.

Il regarde la bouteille. Désespère en la voyant déjà à moitié vide. Il n’a pas envie de se relever pour aller en racheter une autre.
Se contorsionnant comme seul un vieillard sait le faire, il tire de sa poche arrière de pantalon un étui à cigarettes, en sort une qu’il a roulée le soir précédant, l’allume avec le briquet que contenait également l’étui, tire dessus avec un souffle à rendre jaloux un marathonien et se penche en arrière avant de souffler un panache de fumée presque aussitôt dispersé par le vent maritime.
Ce soir, la bicoque à arthrose leur servira un repas soi-disant festif auquel il est inimaginable de penser pouvoir se soustraire. S’en suivra une parodie de fête où un tas de vieux machins coiffés de chapeaux en papiers colorés jouera au bingo et au pictionary avec les infirmières. Rien qu’à y penser, il est tenté d’attendre la marée basse, d’aller se coucher dans le sable au ras de l’eau et de patienter jusqu’à la voir remonter.
Alors qu’il commence à étudier sérieusement cette possibilité, il remarque une surprenante masse blanchâtre ballottée par les flots. Dans un effort qu’il n’avouerait jamais, il se relève et marche jusqu’à voir de légères vaguelettes lui lécher les semelles. Aussitôt, la toile de ses chaussures s’humidifie et il jure en reculant d’un pas. Ce faisant, il perd de vue l’objet un instant et ne parvient ensuite plus à le retrouver.
Alors qu’il est sur le point de laisser tomber pour retourner s’asseoir au pied du mur, une vague plus vive que les autres le surprend en recouvrant ses vieux mocassins. Elle le mouille jusqu’aux chevilles et il jure dans sa barbe en moulinant des bras pour ne pas perdre l’équilibre.
Quand la vague se retire, il ne se prive pas pour la traiter de tous les noms d’oiseaux qu’il a jamais entendus. Ne s’arrêtant qu’en s’apercevant qu’elle a déposé un cadeau insolite à ses pieds. L’objet blanchâtre n’est autre qu’une sorte de petit colis d’une vingtaine de centimètres de longs sur quinze de large et cinq d’épaisseur. Hermétiquement emballé dans un large ruban adhésif, il semble voyager depuis un sacré bout de temps au vu de sa décoloration et de son état général. George se penche et le ramasse, le trouve plutôt lourd. Encore un regard à gauche, un autre à droite. Toujours personne dans les environs. À croire que tous les péquenots de cette ville sont soit coincés dans leur cuisine à préparer un repas à la con qui ne satisfera jamais la totalité de leurs convives, soit en train d’arpenter les allées des centres commerciaux dans l’espoir de dénicher en 2 heures le cadeau qu’ils n’ont visiblement pas su trouver en 365 jours.
Dans un cas comme dans l’autre, ça lui permet de pouvoir profiter de la plage, et de ses cadeaux inattendus sans être dérangé. Il ne va certainement pas s’en plaindre. Même si ça ne l’empêche pas de les mépriser quand même pour cela.

Il rapporte son étrange cadeau de la Nature jusqu’au pied de son mur, se rassied dans le sable et sort un petit couteau papillon de la poche intérieure de son veston. Il n’a pas le droit d’avoir ce genre de possession dans l’internat des bavassants, mais il est hors de question qu’il se débarrasse de ce petit bijou offert par Matthew Greywolf lors d’un de ses nombreux passages dans son bar. Il veille donc toujours à le garder bien caché et le porte généralement sur lui pour éviter tout risque de confiscation si l’un des zombies mettait la main dessus en fouillant ses affaires.

Il entaille délicatement le colis sur l’un des petits côtés, l’incline vers lui et voit, stupéfait, un paquet de poudre blanche bien compacte s’échouer sur ses genoux. Une fois encore, il s’assure qu’il n’y a personne dans son champ de vision, il ne faudrait pas qu’on le surprenne à ce moment précis. Surtout qu’il commence à comprendre ce qu’il vient de trouver. Il récupère le sac en kraft froissé dans sa poche et y cache subrepticement le pain tombé sur ses genoux.

Ça fait des années qu’il n’en a plus vu. Et même avant ça, il n’a jamais été un consommateur régulier. Trois à quatre prises par an, peut-être parfois un peu plus, mais pas de beaucoup, et toujours entraîné par des amis ou des clients célèbres. Dans son métier, il était difficile de ne pas se laisser tenter. Cela étant dit, c’est la première fois qu’il a une telle quantité de crack entre les mains. Ce qui l’ennuie le plus est peut-être de n’avoir personne avec qui le partager. Il repense brièvement à la fille de la supérette, mais se sort cette idée de la tête aussi rapidement qu’il se l’y est mise. Il ne peut pas entraîner la gosse là-dedans. Certes, elle a un coté un peu punk, mais rien dans son comportement ne laisse supposer qu’elle a déjà pris quelque chose de plus fort qu’un peu de shit. S’il veut profiter de son cadeau de Noël inattendu, il faudra qu’il le fasse seul.

Il se dit qu’il pourrait attendre le soir, se rendre la soirée bingo moins pénible, peut-être même commencer à trouver les vieux débris amusants. C’est tentant. Et en même temps, qu’est-ce qui l’empêche de commencer tout de suite ? Ça lui éviterait de passer la journée à ressasser le fait qu’il ne sera pas avec sa famille ce soir parce que ce sont tous des imbéciles.
Il avise un gros rocher quelques 200 mètres sur sa gauche. À priori, de là non plus il ne sera pas visible de la digue. Il devrait même y être plus tranquille, car, à cet endroit, la mer fait directement face à la falaise. Il n’aura rien à craindre venant d’en haut. Il se relève alors tant bien que mal, glisse la bouteille de gnôle dans l’une des poches de son veston, sa coke dans une autre, et il se traîne, l’air de rien, jusque-là.

Il a l’impression d’avoir mis des heures à traverser la plage. Ses pieds s’enfoncent profondément dans l’épaisse couche de sable, les bourrasques tentent à de nombreuses reprises de lui ravir son chapeau et il se donne l’impression d’être et d’agir de façon immensément suspecte.
Quand il atteint finalement son objectif, il s’y laisse tomber et embrasse à nouveau l’étendue sableuse. Un couple a fait son apparition au loin, mais il est trop éloigné pour représenter une menace. George se laisse tomber au bas de son rocher, face à la mer, et sort son pain de cocaïne.
Aidé de son papillon, il perce un trou dans le paquet, en extrait l’équivalent d’une longueur de lame qu’il pose sur le rocher qu’il vient de quitter. De son portefeuille, il retire un billet de 5 € qu’il roule pour en faire une paille. Il ricane en pensant que la première fois où il en a pris c’était un billet de 500 fr français qui servait d’aspirateur. De toutes les stars qu’il a vu passer dans son bar, bien peu avait la notion de l’argent.
Il approche son visage de la pierre, se dépêche avant qu’une nouvelle bourrasque n’envoie son précieux rail dans les vagues, et l’inspire en un mouvement.
« Pouah ! Ça encrasse, » s’entend t-il marmonner en glissant le billet dans sa poche de pantalon. Il appuie son dos contre la pierre, ferme les yeux et attend la décharge.
Elle ne met pas longtemps à le submerger. Une minute, peut-être deux. Ça faisait si longtemps.
Il ouvre les yeux, inspire à pleins poumons l’air marin, se redresse. Il a envie de courir partout, comme s’il venait de perdre 40 ans en une fois. Il se sent bien, foutrement mieux que 5 minutes plus tôt. Il se remet debout en un mouvement, n’a plus mal nulle part. Le petit couple s’est rapproché et il se dirige de lui-même dans leur direction.
Il a envie de parler. Et de danser.

Les deux ados sont un peu réticents au début, mais quand il leur cite les noms de quelques-unes des célébrités qu’à vu passer son bar et qu’ils leur partage certaines de ses anecdotes les plus croustillantes, ils deviennent soudain beaucoup plus attentifs.
Le temps passe, ainsi. Une heure, puis deux. Quel bonheur c’est d’être à nouveau écouté par un public captivé. Quand les gamins s’en vont, George profite de sa solitude pour se refaire un rail, car il sent bien que les effets sont en train de retomber. Il traîne ensuite encore une autre heure, seul sur la plage, disperse les mouettes en courant parmi elles comme quand il avait 12 ans.

Quand il regarde enfin sa montre, il est 11 h 45, et il est plus que temps de rentrer au navire qui prend l’eau. George emprunte l’escalier raide qui remonte directement sur la digue. En quelques bonds, le voilà déjà en haut. Il sort la bouteille de sa poche. Presque vide, autant la terminer tout de suite. Ne pas rapporter de preuve.
Il s’enfile les quelques millilitres restant, se pense assez adroit pour tenter un tir à 10 points et balance la bouteille en direction de la poubelle se trouvant de l’autre coté de la route. Son tir va droit au but. Ou presque. À un mètre ou deux prés, seulement. Quasiment dedans, quoi.
La bouteille s’écrase contre le sol, faisant s’envoler deux moineaux obèses, gavés de mie de pain par les résidents de la maison de retraite.
Mais George est déjà passé à autre chose. Caché derrière un pick-up jaune pisse, il sniffe une nouvelle ligne, maladroitement posée sur le dos de sa main. La moitié de la came termine sa course dans le caniveau, mais quelle importance ? Il en a assez dans les poches pour le restant de ses jours.

Dansant et chantant, il rejoint le home. La vie n’y est finalement pas si terrible. Et il y a la petite Hortensia, une jeunette de 78 ans qui le regarde toujours en coin quand elle le croit plongé dans un livre quelconque. S’il s’y prend bien, et ça ne devrait pas être trop compliqué, il devrait pouvoir passer une sympathique nuit de Noël avec elle. Peut-être a-t-elle même quelques copines qui aimeraient les rejoindre ?

Il est euphorique en arrivant. L’infirmière qui l’accueille trouve ça suspect, mais en ce jour de Noël elle a 1000 autres choses en tête, et si le père Waterloo a bu un peu et que ça le rend joyeux, elle ne va pas s’en plaindre. Au moins, n’emmerdera-t-il personne aujourd’hui.
Sur le chemin qui le mène à la cantine, George fait un petit détour et emprunte une boite de bicarbonate de soude dans la réserve. Il la glisse dans une de ses nombreuses poches et se rend au réfectoire. Là-bas, il s’installe sans rechigner avec les autres et parle, parle, parle. On ne peut plus l’arrêter. Il ne s’est pas senti aussi bien depuis son arrivée. Au moment du dessert, il escamote une petite cuillère. Hop, dans la poche. Ni vu ni connu.

En se rendant ensuite, avec les autres vieux, dans la salle de détente, il a une idée derrière la tête. Mais pour la mettre en pratique, il a besoin d’une diversion.
La salle est décorée avec des boules dorées et argentées pendant du plafond, des guirlandes clignotantes aux murs et un petit sapin blanc en plastique est déposé sur une table dans un coin. On voit que le personnel a fait des efforts, et ils peuvent bien en faire vu le loyer demandé, s’est encore dit George le matin même, mais l’atmosphère est malgré tout un peu minable, désuète.
George s’assied à une table avec trois petites mamies occupées, qui à tricoter un affreux châle rose et vert, qui à faire des mots croisés, qui à somnoler en bavassant un peu sur son menton.
L’œil perçant, ou du moins le pense-t-il, il cherche les complices idéaux. Les victimes désignées. Celles et ceux qui ne le dénonceront pas et qui mettront assez le foutoir pour lui laisser le champ libre. Au bout de 20 minutes, il a choisi cinq vieillards parmi ceux qui se sont traînés jusqu’à la salle de détente.
Il se lève, le pied toujours leste, mais un peu moins déjà. L’effet de la coke ne dure pas éternellement, hélas. D’ailleurs, il a déjà oublié ses plans avec Hortensia. Aussi tranquillement qu’il le peut, il approche ses victimes, une à une, leur donnant rendez-vous dans 10 minutes au fond du couloir, devant la porte double qui mène au jardin. Une fois son tour fait, il s’éloigne le premier et va les attendre sur l’unique chaise posée près de la porte arrière. Il ne tardera pas à être en pleine descente, mais il doit d’abord terminer ça, ensuite seulement, il s’autorisera une petite ligne. Les minutes passent somme toute assez vite et, quand les vieux le rejoignent, il les fait sortir dans le jardin.
Là, il leur propose le plan de leur vie. Un rail chacun. Une heure de pur plaisir. En échange, ils s’engagent à mettre un peu d’ambiance dans la salle décorée. Marcel et Clémence ont déjà consommé dans leurs jeunes années, il est facile de les convaincre. Marie, Albert et William sont un peu plus frileux au départ. Mais ils n’ont pas été choisis au hasard, George sait que les trois vieux sont curieux et n’attendent pas de visite de leurs familles aujourd’hui. Il lui faut moins de 5 minutes pour les convaincre.

Un à un, les vieillards regardent George former un trait de coke sur l’appui de fenêtre de la réserve et le sniffent avec le billet de cinq roulé que l’homme a ressorti. Après ça, ils retournent à l’intérieur. Encore 10 minutes et la voie sera libre.
Et, en effet, ça ne rate pas. Quelques minutes après, on entend les vieux chanter, rire et pousser de grands cris. A priori, le test n’est pas concluant pour Marie. Dommage pour elle.
Les infirmières accourent dans la salle de détente, les surveillantes aussi. Le plan est parfaitement mis en exécution. George se faufile dans le couloir, prend sur la droite, trottine jusqu’à la porte de l’infirmerie et y entre. Personne. Comme prévu.
Il ne connaît pas très bien la pièce, il n’y est jamais venu, mais elle est petite, il en aura vite fait le tour. Le plus tôt sera le mieux, pense-t-il alors qu’une angoisse sourde commence à retentir en lui. Quelqu’un va le trouver là, c’est obligé. Il a mis trop de gens dans la confidence, il va se faire attraper… Et ce paquet énorme qui déforme sa poche, et même toute sa veste. Comment se fait-il que personne n’ait rien vu . Non, ils ont forcément vu. La police est certainement déjà en route.
Les battements de son cœur s’accélèrent, la peur le prend. Il doit sortir de là. Vite. Vite. VITE.
Il se retourne, cours vers la porte et percute un plateau qui tenait en équilibre précaire sur une table. Le plateau s’envole, emporte avec lui des fioles, des gazes et quelques seringues encore emballées. Les seringues ! Il s’empare de la première qui lui tombe sous la main, se fait mal au dos en se baissant, plus encore en se redressant. Il doit fuir les lieux du crime, le bruit à du alerter tout l’établissement.

George passe la porte, la ferme derrière lui en la claquant trop fort. Il souffle comme un bœuf en plein travail. Il lui semble voir du mouvement au fond du couloir, s’enfuit de l’autre côté. Il court aussi vite que le lui permettent ses jambes ankylosées. C’est-à-dire qu’il trottine. Le chemin jusqu’à sa chambre lui semble long, effroyablement long. Il croise une petite vieille en haut de l’escalier, la bouscule dans sa fuite, se persuade qu’elle l’a pris en chasse, accélère. Quand il arrive à sa chambre, la 123, il entre, ferme la porte et appuie dessus de tout son poids. Elle est plus menue que lui, ça devrait suffire à la dissuader. Il attend une minute. Deux minutes. Cinq minutes. Au bout de la sixième, comme il ne s’est toujours rien passé, il relâche la pression. Juste le temps de pousser la chaise, ou le canapé, enfin, ce truc gris informe qu’on met systématiquement dans toutes les chambres de vieux, devant la porte. Il respire un peu mieux.

Il s’approche de l’unique fenêtre de la chambre, y jette un œil, voit un homme sur le trottoir d’en face et se colle au mur pour ne pas être repéré. Il ferme les yeux. Il doit se calmer. Ce n’est pas comme ça que la journée est censée se passer. Il s’éloigne de la fenêtre, s’assure que la chaise, le canapé, ou quel que soit le nom de ce foutu truc dans lequel on est censé s’asseoir, bloque bien la porte et s’assied sur son lit. Il respire trop fort.
D’une poche, il sort le paquet de cocaïne déjà ouvert, le pose à côté de lui. D’une autre, il extrait le matériel volé ; la cuillère, le bicarbonate, la seringue. Dans une troisième, il trouve un briquet. Dans le tiroir de sa table de chevet, un paquet de mouchoirs en papier, un antique cure-dents et une vieille enveloppe.

Il aurait bien besoin d’un verre, mais ça devra attendre. D’abord il faut remonter, se sentir mieux.
Il tente de verser un peu de poudre sur la cuillère, mais ses mains tremblent trop et il en répand plus sur le couvre-lit que dans le couvert, alors il se refait un rail. Un peu de poudre sur le dos de la main, qu’il tasse avec la lame du couteau, il ressort le billet et roule Raoul.
Il lui faut quelques minutes avant de ressentir les effets, cette fois, mais quand il se sent remonter, il se relève, va jusqu’à la fenêtre et effectue un petit mouvement de danse en voyant que l’homme a disparu.

Revenant au lit, il tire une chaise à lui, s’y assied et se met au travail. Baser va lui prendre un peu de temps, surtout qu’il ne l’a jamais fait lui-même. Et vu ce qu’il prépare, il va lui falloir pas mal de matière première. Dans la cuillère, il mélange la coke et le bicarbonate, ajoute un peu d’eau, fait bouillir avec le briquet, touille avec le cure-dents, absorbe le surplus avec le mouchoir en papier, pose le caillou ainsi formé sur l’enveloppe en papier trouvée dans sa table de chevet, nettoie la cuillère et recommence.
Il répète ses mêmes mouvements 20, 30, peut-être 40 fois. Il en a assez, enfin, il l’espère. Au pire, il utilisera la poudre pure pour terminer le boulot. L’opération a duré longtemps et il n’a pas l’impression d’avoir vraiment profité de sa dernière dose. Il pense en reprendre tout de suite, se dit qu’il devrait attendre un peu. Il a quelque chose à faire avant.
Dans un sac en plastique, celui qui recouvre normalement son verre à brosse à dents, il emballe les cailloux, les empoche. Ensuite il range tout le reste du matériel dans ses nombreuses poches, il en aura besoin plus tard. La fatigue commence à le rattraper, mais il secoue le couvre-lit, repousse la chaise, le canapé, ou quel que soit cet objet immonde, et il sort.

En traversant le couloir du rez-de-chaussée, il tend l’oreille et le cou dans l’espoir d’avoir des nouvelles de la salle de détente, mais celle-ci est incroyablement calme. Les cinq vieux camés ont dû être raccompagnés dans leurs chambres. Sauf Marie. Elle, est peut-être encore à l’infirmerie. Au moins, aucune ambulance n’a été appelée, ça aurait pu très mal tourner pour lui, sinon.
En passant devant le bureau d’accueil, la surveillante lui demande :
— On ressort faire un tour, Mr Waterloo ? Ne traînez pas trop, les festivités commencent tôt ce soir.
Il lui sourit, lui promet de ne pas être en retard. Elle fronce les sourcils, pas habituée à une telle amabilité. Il se traite d’abruti. Depuis quand est-il aimable comme ça ? Ne pas attirer l’attention, c’est se comporter comme tous les jours, pas comme un imposteur. Mais il a eu peur qu’elle ne le laisse pas ressortir. Hors, il a définitivement et formellement besoin d’un verre..
Sur le chemin qui le mène à la supérette, il ne pense qu’à sa prochaine dose. Et à ce qu’il prépare pour ce soir. Un merveilleux cadeau de Noël que tous ces vieux débris et ces foutues harpies ne méritent clairement pas. Mais il est comme ça, George, un bien brave gars qui donne sans rien attendre en retour. Puis bon, sans ça, la soirée sera aussi festive qu’un enterrement, alors il n’a pas trop le choix s’il veut éviter de passer le pire moment de l’année.

Dans la boutique, c’est encore la gamine qui est à la caisse. Quand il pose ses trois bouteilles de whisky devant elle, il remarque, sur un présentoir vert et rouge absolument gerbant, quelques ustensiles étonnants qu’il n’avait jamais vu jusque-là. Il tend mollement la main dans leur direction.
— C’nouveau, ça ?
Elle lève à peine les yeux de son magazine, confirme d’un reniflement. Ou du moins, George prend-il ça pour une confirmation, mais peut-être la fille est-elle juste enrhumée.
Il prend une pipe en verre sur le présentoir. Elle n’est pas d’une qualité folle et elle s’adresse plutôt aux gamins qui veulent jouer aux grands. D’ailleurs, les autres produits sont du même acabit, feuilles à rouler, filtre, boites à clopes avec une feuille de marijuana dessinée dessus. Tout ça est cliché, un peu cucul, et malgré tout absolument légal. George rajoute donc la pipe sur le comptoir. La fille scanne le tout, empoche son argent et lui range ses affaires dans un sac en kraft plus grand que celui du matin, qu’il a d’ailleurs toujours dans une poche, mais qui ne renferme plus rien venant du magasin. Quand elle tend son sac à George, celui-ci sort une bouteille du sac avant d’emporter le reste. Il la pose devant elle, se retourne et, alors qu’il se dirige vers la sortie, lui lance un :
— Joyeux Noël !
Qu’elle la boive ou qu’elle se la fasse rembourser, comme elle préfère. De toutes façons il lui a laissé le ticket de caisse.

Sur le petit parking, George ouvre sa première bouteille. La première gorgée le réconforte plus qu’il ne l’admettra jamais. Il en avait un putain de besoin.
Comme à son habitude, il marche jusqu’à la mer. L’air est plus froid qu’au matin, ce qui est inhabituel. Depuis quand les matinées sont-elles plus chaudes que les après-midi ?
Motivé par une envie de tranquillité, il marche jusqu’au gros rocher, s’y installe et sort la seringue dés qu’il s’est assuré que personne n’était caché où que ce soit. La paranoïa recommence à le gagner, il faut qu’il se calme, qu’il s’en débarrasse. Il a besoin de tous ses esprits pour la réussite de son plan du jour. En remplissant la seringue il en met encore une fois partout, heureusement que ce crack ne lui a rien coûté, sinon il en ferait une syncope.
Il hésite un peu quant à l’endroit à piquer, les veines de ses mains sont saillantes, l’emplacement lui semble bon, mais il n’a jamais fait ça. Il doit finalement s’y reprendre à trois fois avant d’attraper la veine. Un bleu est déjà en train de se former, mais quelle importance ? Il s’injecte la substance et a à peine le temps de retirer l’aiguille que le flash survient. Plus fort, plus intense que tous les autres de la journée réunis. Il tangue, se retient au rocher, s’écrase contre lui. Bientôt, la mer monte, l’enveloppe de ses vagues chaudes et réconfortantes. Il est emporté, ballotté au grès de ses remous. Elle le caresse, lèche sa peau, obstrue chacun de ses pores. Il la laisse faire. Il est bien. Au bout d’un moment qui lui semble à la fois infini et trop court, il sort la tête de l’eau. Respire. Une vague le dépose sur la plage, s’éloigne en lui chatouillant les orteils. Le soleil frappe plus fort qu’en plein été. Il se laisse aller en arrière, persuadé que le sable amortira sa chute. Sa tête cogne durement sur quelque chose. Il se retourne sur le flanc. Geint.
Quand il ouvre les yeux, il est au sol, tombé de son rocher. L’arrière de son crâne l’élance, il a touché un plus petit caillou dans sa chute. Son cœur bat trop vite, il a la tête qui tourne. Il se redresse à demi, adossé au rocher, et reste là pendant au moins deux heures. Oscillant entre moments de plénitude absolue et paranoïa aiguë. Profitant de chaque moment de lucidité approximative pour boire une gorgée. Prolongeant ainsi son état déjà sur le fils.

Quand il regarde sa montre, il est bien plus tard qu’il ne l’imaginait. S’il ne se dépêche pas, il sera en retard au banquet et il se fera disputer. Il grogne, se plaint. Non, non, non, il ne veut pas se faire disputer ! Il n’a plus quatre ans, il peut bien faire ce dont il a envie.

Quand il arrive au home, il a bien du mal à paraître au top de sa forme. Il titube, regarde autour de lui d’un air ahuri et discute avec sa main droite. Un jour normal, il aurait été envoyé dans sa chambre, voire à l’infirmerie, et ses petits-enfants auraient été appelés. Mais aujourd’hui personne n’a le temps de remarquer son état. Le personnel, en effectif réduit, cours dans tous les sens, et les petits vieux sont, soit trop excités par la fête qui se prépare, soit trop déprimés de la passer loin des leurs pour faire attention à lui.

Il vacille donc jusqu’à une chaise dans le réfectoire, s’y affale et attend qu’on vienne le servir. La maison de retraite a mis les petits plats dans les grands, mais George n’a aucun appétit, la coke se suffit à elle-même. Il laisse donc ses voisins de table piocher allégrement dans sa part de rôti, ses pommes duchesses et son baba au rhum. Ou plutôt son baba au rien, l’homme ayant tout de même fait un effort pour avaler le rhum.

Alors que les premiers convives commencent à quitter la salle, George se souvient de sa mission. Il reprend un peu de courage et se lève à son tour.
Quand il arrive, titubant, dans la salle de détente, il est le premier, les autres ont dû remonter se changer ou chercher l’une ou l’autre chose. Il en profite, une telle chance ne se reproduira pas. Il s’approche du diffuseur de fumée que le home a loué pour mettre un peu d’ambiance, en ouvre le réservoir et verse presque tous les cailloux qu’il a laborieusement façonné plus tôt dans l’après-midi sur une grille suspendue au dessus de l’eau et déjà agrémentée de pétales de fleurs séchées et de feuilles de menthe. Ce sera son cadeau à cette bande de vieux machins. Craignant subitement que ça ne soit pas suffisant, il sort le pain de poudre et en verse une bonne moitié également dans le réservoir. Il a agi vite, mais, déjà, il entend du bruit dans le couloir. Il referme l’engin, s’en éloigne et se laisse tomber dans un fauteuil au moment ou deux personnes entrent dans la pièce.
Tout est en place, il n’y a plus qu’à attendre que l’animation commence.
A priori ça ne devrait pas être long, certains ancêtres ayant émis le souhait d’être couchés à 20 h.

Et en effet, moins d’une demi-heure plus tard, une infirmière annonce que la « fête » va commencer. D’abord un peu de musique, puis une heure de bingo, puis re-musique. George regrette de ne pas être allé se faire une ligne dans les toilettes avant le début des hostilités. À quoi va ressembler la musique ?
L’infirmière allume la vieille chaîne hi-fi qui fonctionne toujours avec des Cds. George se lève avec difficulté quand il voit apparaître le visage de Frédéric François sur la pochette. Il va vraiment avoir besoin d’un peu d’aide pour supporter la soirée. Plus que ce que son petit cadeau ne pourra en apporter. Il s’éloigne en claudiquant dans le couloir, quand il entend le chanteur à la permanente entamer sa première chanson, dont il ignore totalement le titre. Il s’enferme dans le petit cabinet prés de la réserve, sort sa pipe toute neuve, la bourre d’une partie des cristaux qu’il a gardé et d’un peu de tabac, l’allume.

Assis sur le couvercle fermé, il aspire la fumée. Ferme les yeux. Laisse la substance dérégler son cerveau. Au bout de 15 secondes, il se sent déjà beaucoup mieux. Des couleurs ont commencé à danser devant ses yeux, même quand il garde ceux-ci ouverts. Il inspire encore une fois. Deux fois. Trois fois. Il sort sa bouteille, s’en enfile une bonne rasade. Il rempoche sa pipe sans même prendre la peine de l’éteindre et retourne dans la salle aux vieux. L’ambiance est brumeuse, l’appareil a été allumé. Il ricane. Il y a encore moyen de bien s’amuser.

Ça fait une demi-heure qu’il danse sur une musique qu’il ne comprend pas, d’un chanteur dont il a oublié le nom. L’air vicié a envahit tous les poumons. Les vieux, les infirmières, et même le chat arthritique du nom de Pompon, tout le monde semble profiter de la soirée. Nombreux sont ceux qui dansent, quelques-uns parmi les plus grincheux, dont il sait qu’il fait partie, sont même en train de chanter.
Les vieux corps s’effleurent, se rencontrent, se bousculent. Certaines bouches partent à la recherche d’un nouveau dentier entre des gencives qui ne leur appartiennent pas. Une infirmière se dandine sur les genoux d’un vieux beau. Dans les couloirs et les chambres, plusieurs nouveaux couples se sont retirés pour profiter d’un semblant d’intimité.
Tout le monde a oublié le bingo.
George n’a qu’à moitié conscience de l’apocalypse dont il est à l’origine, et c’est bien dommage, car cette soirée dépasse toutes ses espérances.
Si on apprend qu’il en est l’instigateur, il ne se fera pas juste virer de l’établissement, il pourrait très bien se retrouver en prison. Mais, dans l’immédiat tout du moins, il s’agit du dernier de ses soucis.
Alors que sa cavalière se détache de lui pour retirer son chemisier, car, comme elle le lui fait remarquer « Il fait tellement chaud, ici ». Il s’approche de la fenêtre qui donne sur la mer. Elle est si belle, si attirante. Bien plus, pour être honnête, que Roberta, qui revient déjà vers lui. D’un mouvement aussi vague que les lames qu’il ne voit pourtant pas s’échouer régulièrement sur le sable, il la repousse. Ses seins flasques dans le soutien-gorge couleur chair ne l’excitent plus. Il ne voit que la mer, la Lune et son reflet chatoyant.

Malgré l’heure, il sort de la maison de retraite sans difficulté. Il n’y a plus personne à l’accueil et le trousseau de clefs est resté sur la serrure. La fumée du dispositif se répand jusque ici.
Il laisse la porte entrouverte en sortant, s’il peut offrir encore une chose à ses codétenus cette nuit, ce sera un peu de liberté en sus, une balade au clair de lune. Une chose à laquelle aucun résident n’a plus pu goûter depuis son internement.

Sur le chemin qui le mène à la rampe d’accès à la plage, George ressort sa pipe en verre. Il se sent investi d’une grande puissance. Il croit courir, voler, jusque-là. En réalité, il ressemble plutôt à un vieil ivrogne qui titube en parlant tout seul.
Sans surprise, la plage est déserte. Il l’atteint alors qu’un nouveau flash le fait s’élever. Il décolle, se noie dans les couleurs qui flamboient depuis plusieurs heures tout autour de lui. Soudain un choc. Il a de l’eau jusqu’aux mollets, c’est froid, mais il s’allonge. Il nage dans la mer de la tranquillité, regarde la Terre si petite, si lointaine. Il souhaite rester là pour toujours.
Mais soudain, plus d’oxygène. Sa vue se trouble. Il suffoque. Prend peur. Sent sa vessie le trahir. Dans un mouvement désespéré, et presque miraculeux au vu de son état déjà bien avancé, il se redresse, s’assied et sort la tête de l’eau. Finie la Lune, finies ses illusions. Il est assis dans le sable, sur cette bonne vieille Terre, et les vagues qui le bousculent sont aussi glacées que l’épée qui transperce son thorax de part en part.

À quatre pattes, il quitte l’eau, s’effondre sur le sable sec à quelques mètres. Il a terriblement mal au cœur.
Allongé sur le dos, il s’efforce de respirer plus calmement, mais ni ses poumons ni son cœur ne semblent vouloir le suivre sur ce terrain. Il fouille dans sa poche, en sort sa dernière bouteille. Elle est quasiment vide. Il dévisse le bouchon, l’envoi valser au loin, lui aussi dansera ce soir. Avec Elle. Celle qui vient de le repousser, de le rejeter comme une méduse immonde et visqueuse. Il porte le goulot à ses lèvres, renverse la moitié du contenu restant dans son cou, laisse s’écouler presque tout le reste le long de ses joues. Sa respiration s’est faite sifflante, il y voit flou.

Laborieusement, il roule sur le côté, abandonne la bouteille désormais vide, et se redresse. La plage tangue, le monde bouge, rien, dans ce foutu paysage tout juste éclairé par la Lune, n’accepte de rester à sa place. George se dirige, pour la troisième fois de la journée, vers le gros rocher à 200 mètres de là. Il a froid, le bout de ses doigts est engourdit, il lui semble que son pantalon se durcit un peu plus à chaque pas qu’il fait. Peut-être est-il en train de geler.
Quand, après plusieurs arrêts et plusieurs chutes, George atteint son but, il ne s’est jamais senti aussi mal. Son cœur est sur le point de lâcher, il n’a pas été prévu pour battre aussi vite, aussi fort. Tout son corps est gelé, respirer lui fait mal et une horde de lutins maudits dansent dans son crâne, faisant tinter des clochettes, claquer leurs talons et résonner les trompettes dans lesquelles ils soufflent sans discontinuer. Pourtant, en arrivant à destination, George retrouve un peu de gaieté. Ce qu’il espérait y trouver l’attend bien gentiment. La seringue abandonnée plus tôt trône toujours, indécente, entre deux aspérités du gros caillou.
Dans sa large poche intérieure, il récupère la coke, la laisse tomber et se répandre sur le rocher. De ses doigts rendus raides par le froid extrême, il agrippe la seringue, la rempli.
Ce sera la dernière fois. Il ne doute pas de ça.
Sa pipe a été engloutie par les flots. Doit-il faire disparaître toutes les autres preuves ? Offrir une super montée aux poissons ?
« J’emmerde les poissons », grogne-t-il alors qu’il pique l’aiguille dans une veine de sa main gauche. La dose est plus forte que toutes les autres, il sent monter le flash en quelques secondes à peine.

George est projeté à terre. Il convulse. Les membres agités de tremblements rapides, le cœur au bord de l’implosion, les poumons déchirés par l’air froid qu’ils tentent en vain de faire circuler.

La Lune a quitté son ciel. Seules les étoiles brillent désormais, et George vogue au milieu d’elles. Il ne connaît pas leurs noms, s’en fiche. Il est assis sur une comète prête à se consumer. Les dragons c’est dépassé. Partout dans son champ de vision, des paillettes stellaires filent à toute berzingue. Le Lapin Blanc n’a qu’à aller se rhabiller, ses nouvelles amies sont plus rapides que la lumière. Plus vives et colorées que tout ce qu’un honnête homme ne pourra jamais expérimenter.
Le ciel est plein de couleurs, ses yeux remplis d’éclats.
Lentement, la vie s’écoule, et bientôt, même le noir s’immobilise.
Quelque part des étoiles multicolores brillent encore. Mais il n’y a plus personne pour les voir.


Ce qui a inspiré cette histoire ? Les presque 2 tonnes de cocaïne qui se sont échouées sur les plages françaises entre octobre et novembre 2019.
Le titre, lui, vient d’un vieux film que Sieu K a ressorti de ses archives, et que je n’ai absolument pas vu : Cigarettes, Whisky et P’tites Pépées.
Honnêtement, je ne pense pas que je le verrai un jour.
Quant à George, il porte le nom Waterloo grâce aux Libertines, dont j’ai écouté les titres en boucle pendant la rédaction de cette histoire (et d’une bonne partie des autres nouvelles de l’avent).

Grâce à cette nouvelle et aux recherches que j’ai dû faire pour la rendre un peu plus réaliste, j’en connais désormais plus sur la fabrication de la coke que sur celle du chocolat et je suis sûr que je suis fiché par les autorités.
Vives les VPN, qu’on nous répète sur Youtube. Faudra que j’y pense, la prochaine fois.

One thought on “Cocaïne, whisky et p’tit pépé”

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