Texte initialement publié sur Wattpad les 4 et 5 décembre 2019.
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Des taches rouge sombre brillent sous la lumière de la lune. Il faut dire que la pâleur de la neige les fait ressortir d’une façon obscène.
Cela fait des mois que tu es sur la piste du tueur de ta sœur bien-aimée, et, cette nuit, il semblerait que la chance soit de ton côté. Jamais tu n’as été si proche. Jamais la piste n’a été si fraîche.
Tu resserres ta longue écharpe émeraude autour de ton cou et tu te remets en route à travers les jardins à la françaises du manoir. Tu penses déjà à la récompense que tu offriras à l’homme qui t’as mis sur cette voie. C’est un fouineur, une petite vermine et un clochard, mais il a des yeux et des oreilles partout. Sans son tuyau, tu serais toujours à écumer les bars de Whitechapel, à parler avec ce que le peuple fait de pire, dans l’espoir de décrocher un indice ridicule pouvant te mettre sur le chemin du tueur.
Tu n’es ni flic, ni détective. Mais tu as de l’argent. Beaucoup d’argent et d’influence.
Ta sœur aussi en avait, mais ça ne l’a pas sauvée. Elle a disparu un jeudi, la veille de son mariage avec un baron. Tu as d’abord pensé qu’elle s’était enfuie, le futur époux étant plus vieux qu’elle de 15 ans et ayant été imposé par vos parents. Mais, le samedi, son corps était retrouvé sur les berges de la Tamise.
Lacéré dans divers endroits, les traits figés dans une expression d’horreur, exsangue.
Tu ignorais, alors, quel genre de créature pouvait faire de tels dégâts, mais ça ne t’as pas empêché de partir à la recherche du meurtrier. Jessica avait 17 ans, elle ne méritait pas de finir comme ça. Personne ne le mérite.
Tu suis les traces de sang qui se détachent de la couverture virginale, laisse derrière toi des traces de pas qui terminent de la défigurer. La piste te mène à la porte du manoir. C’est presque trop simple et tu crains un instant d’être tombé dans un piège. Mais non, le monstre ne peut savoir que tu es si près, que tu sais ce qu’il est.
La porte n’est pas bien fermée et un peu de neige se glisse par l’ouverture. La poignée est couverte de sang. Tu détaches le poignard à la ceinture, le glisse dans ta manche longue aux finitions en dentelle. Les boucles blondes que tu portes aux épaules s’élèvent et s’abaissent au rythme de ta respiration. Être si près du but te donnerait presque le tournis. Tu pousses la porte du bout de la botte et rentres.
La pièce est lumineuse, éclairée par de nombreux chandeliers. Un large escalier sur la droite mène à une galerie qui en fait le tour. De lourds tapis recouvrent le sol et, sur l’un d’eux, bien en évidence au milieu de l’entrée, le corps d’une jeune paysanne termine de se vider de son sang.
Tu hésites à lui porter secours, elle n’a pas bougé d’un cheveu depuis ton arrivée et tu risques d’avoir besoin de tous tes réflexes si la chose qui l’a attaquée s’en prend à toi.
La porte sur ta gauche s’entrouvre soudain et tu te retournes, sur tes gardes. Dans l’encadrement, un garçon te regarde. Pas âgé de plus de 11 ans, ses cheveux noirs en bataille, du sang lui macule le visage, s’écoule goutte à goutte de son menton et tache sa chemise jadis blanche.
Ta première impulsion est de vouloir aider l’enfant, le faire sortir d’ici au plus vite. Tu fais deux pas dans sa direction et t’arrêtes. En le regardant mieux, tu remarques ses yeux injectés de sang, ses mains agitées de tremblements, comme celles d’un ivrogne en manque, son teint livide, là où le sang étranger ne l’a pas recouvert. Ce pourrait-il que ce soit cet enfant le monstre que tu recherches ? Cette pensée te fait froid dans le dos.
Quand, soudain, le gosse pousse la porte, sort de sa pièce et te fonce dessus. Tu as à peine le temps de sortir ton poignard qu’une voix de ténor retentit dans les escaliers.
— Non, Xavier. Non.
Est-ce qu’il y en a plusieurs ? Dans un tel cas, tu seras bien embêté avec pour seule défense ton petit poignard en argent. Tu te retournes vers l’homme qui a parlé sans pour autant quitter l’enfant du coin de l’œil et en gardant ton arme pointée vers lui.
Il est… Somptueux. Tu côtoies des nobles depuis ta naissance, mais jamais tu n’as rencontré un homme avec une telle prestance. Ses traits sont ceux d’un aristocrate, un nez fin, des pommettes hautes, des sourcils longs et effilés, une bouche juste assez charnue pour ne pas sembler pincée, mais pas assez pour lui donner un air vulgaire. À mesure qu’il s’approche, tu peux mieux le détailler. Ses yeux sont d’un noir d’encre, sa chemise blanche et son pantalon épais et rouge ont été taillés dans des tissus de qualité. Les broderies qui les relèvent ont probablement rendue aveugle la couturière chargée de leur réalisation.
Ses cheveux d’un châtain foncé, coupés plus courts que les tiens ondulent également un peu.
Quand il marche, tu as l’impression de le voir voler, et quand il parle, sa voix résonne fort dans la grande pièce. Enlise tout dans son velours. Il s’avance vers toi et te tend une grande main aux doigts sertis de larges bagues.
— Je vous prie d’excuser mon fils, Monsieur. Il est à un âge où l’on se laisse facilement influencer, et les enfants du village lui ont raconté l’histoire d’un monstre qui boit le sang de ses victimes. Depuis, il ne cesse de jouer à cela.
Ses yeux roulent dans ses orbites d’une façon qui te semble peu naturelle. En voyant que tu ne réagis pas, il tourne les yeux vers l’endroit que tu t’efforces de ne pas regarder, mais vers lequel tu reviens en permanence. En découvrant le corps ensanglanté de la villageoise, il soupire.
— Elizabeth, cela suffit, maintenant. Il claque des doigts et la jeune femme se remet debout dans une attitude soumise. Veuillez aller aider mon fils à se préparer pour ce soir.
Un seul regard de l’homme décide l’affreux gamin à s’éloigner en compagnie de celle que tu supposes maintenant être sa gouvernante. Ils passent une porte au fond de la pièce, la referment. Vous voilà juste tous les deux maintenant. Tu te rends compte que ça fait longtemps que la main de l’homme est tendue vers toi. Tu escamotes le coutelas dans ta manche et refermes ta main palote sur celle de l’aristo. Il te sourit toujours, se présente.
— Lord Richard Van Ruth.
Tu te sens idiot, soudainement. Tu es entré sans y être invité chez cet homme et a menacé son fils d’un couteau. Il pourrait légitimement porter plainte. Pourtant, il te sourit toujours, attendant que tu te présentes.
— Arthur Cortèz.
L’homme soulève un sourcil intéressé.
— Un lien avec le conquistador ?
Tu secoues la tête.
— Pas à ma connaissance.
En plus d’être très beau, l’aristo est aussi charmant. Il te demande si tu loges au village, s’inquiète de l’endroit où tu as prévu de dormir cette nuit quand tu réponds que non, et t’offres l’hospitalité quand tu avoues n’avoir pas encore réfléchis à la question. Malgré tes protestations, il insiste, c’est la nuit de Noël, tu ne vas quand même pas la passer à la rue, surtout avec la neige qui n’a eu de cesse de tomber toute la journée et qui ne semble pas prête à s’arrêter.
Il te conduit lui-même à ta chambre, s’excusant pour son manque de personnel, expliquant qu’il leur a donné congé pour leur permettre de passer la soirée en famille. Il te prête même une tenue de soirée et t’annonces qu’il t’attendra dans le salon, autrement dit, la pièce dont tu as vu sortir son fils, dans une heure. Ensuite, vous passerez à la salle à manger où tu feras la connaissance de sa femme et de son fils une fois débarbouillé.
Tu te sens vraiment idiot. Tu n’as jamais été si grossier envers quelqu’un, et malgré tout, le voilà qui t’invite à sa table pour le repas de Noël. Quand il te laisse seul, tu en profites pour faire ta toilette dans la bassine qui a été laissée à côté de ton lit.
Honnêtement, tout bourgeois que tu sois, tu en as bien besoin. Cela fait des semaines que tu crapahutes à travers l’Angleterre, dormant dans des auberges miteuses et ne changeant que trop rarement de frusques.
Alors que tu passes la tenue qui t’a été prêtée, un peu grande, mais foutrement coûteuse, tu commences à te poser des questions. Tout semblait aller de soi quand tu écoutais parler le maître de maison, mais maintenant qu’il t’a laissé, tu réalises que tu as gobé un peu vite tout ce qu’il t’a raconté. Et alors que tu te repasses votre conversation, une chose te percute de plein fouet. D’après l’homme, le comportement de son fils vient de ce que les villageois lui ont raconté au sujet d’un monstre qui boit le sang de ses victimes. Or, personne au village n’avait l’air au courant de telles activités quand tu les a interrogés à ton arrivée.
Quelqu’un t’as donc menti. Soit les villageois, ce qui n’aurait rien d’exceptionnel. Tu es de noble naissance et ils ne te connaissent pas, rien d’étrange à leur mutisme en ta présence. On n’aime pas trop passer pour un taré face aux étrangers, surtout quand on ignore leurs véritables intentions.
Ou alors, c’est l’homme élégant, celui que tu as envie d’appeler Mr le Comte depuis votre rencontre, qui t’en a compté, mine de rien. Ici non plus ça n’a rien d’étonnant quand on analyse les circonstances lors desquels vous vous êtes rencontrés.
L’homme a beau t’avoir fait bonne impression, vraiment bonne impression, tu doutes un peu plus de lui à chaque minute qui passe loin de sa langue agile. Si bien que tu choisi d’emporter ton couteau au dîner.
L’heure n’est pas encore passée, mais tu te vois mal rester stupidement assis sur ton lit à attendre que l’aiguille ait terminé son tour, alors tu sors et te rends dans le salon. En descendant les escaliers, tu avises l’endroit ou la bonne était allongée. Tout le sang a été nettoyé et le tapis sur lequel elle reposait s’est volatilisé. Tu ne peux nier l’avoir vue se relever, et pourtant une impression étrange te tord les boyaux. Certes, sa démarche était un peu raide, mais elle a très bien pu avoir un accident qui l’a laissée handicapée.
Tu choisis de ne pas prendre cet avertissement de tes tripes au sérieux et, sans même un regard vers la porte d’entrée, ta porte de sortie, tu te diriges vers celle du salon.
Tu découvres une pièce tout en longueur et sombre. Des murs chargés de gros ouvrages aux couvertures rouge et brun, un ensemble de fauteuils en cuir, et encore ces épais tapis au sol. Tu marches entre les rangées de livres, tachant d’en reconnaître certains, mais tous les titres te sont inconnus, beaucoup semblent être en latin et dans une autre langue que tu ne connais pas, faite de symboles quasi-cabalistiques. Sur ta droite, la plus massive des tables d’échecs que tu aies jamais vue occupe une place monstre. Au lieu d’être bien sagement rangées, les pièces sont de sortie, à croire qu’une partie est en cours. Pourtant, personne n’est assis sur les chaises au rembourrage jaune qui l’entoure. Un rapide coup d’œil te permet d’avancer qu’une remontée des blancs est plus qu’improbable. Il fut un temps où ce jeu occupait une part considérable de ton temps libre mais, bien évidemment, il y a longtemps que tu n’as plus eu l’occasion d’y jouer.
Tu continues ta remontée de la pièce et arrives devant une cheminée où brûle une grosse bûche et entourée de cinq fauteuils. De petites tables sont posées à côté de chacun d’entre eux.
Soudain, une voix venant de l’un d’eux te fait sursauter.
— Ça va sembler prétentieux, étant donné qu’il s’agit de vêtements que je vous ai prêté, mais vous êtes très élégant ainsi, Sir Cortèz.
Tu te retournes et découvres Lord Van Ruth enfoncé dans un fauteuil, un verre de vin à la main. Il te détaille avec une lueur indécente dans le regard. L’espace d’un instant, ton poignard te démange, tu te sens en danger. Puis, il se lève, va chercher un verre et une carafe sur une table en verre entre deux bibliothèques et te propose de boire avec lui. Tu n’as aucune raison valable de refuser, alors tu acceptes et t’assieds dans le fauteuil à la droite du sien.
Plus il parle et plus tes doutes s’estompent. Pourquoi t’inquiétais tu, déjà ? Cet homme est un vrai gentleman, sa compagnie est délicieuse et sa conversation passionnante.
Tu es pendus à ses lèvres alors qu’il te raconte ses périples en Europe, quand tu entends la porte s’ouvrir et qu’un vent de panique s’immisce sous ta peau. Si tu t’écoutais, tu prendrais tes jambes à ton cou. Hélas, la seule issue est la porte qui vient de s’ouvrir, et c’est de là que viendra le danger, tu en es persuadé.
Richard a cessé de parler. Il te regarde avec ce même regard qui t’a inquiété plus tôt, puis il se redresse d’un bond.
— Ah ! Il semblerait que ma charmante épouse nous ait enfin rejoint. Venez, ma chère, que je vous présente notre nouvel ami.
Tu te lèves aussi, sur le qui-vive. Un regard vers la porte t’apprend que deux personnes sont entrées. Tu reconnais sans peine la plus petite. Bien qu’il soit habillé de vêtements propres et que son visage aie été nettoyé, l’enfant est toujours aussi inquiétant. Ses mouvements sont raides, comme s’il se retenait de faire une chose à laquelle il ne fait que penser. Dans la lumière des bougies, ses yeux te paraissent rouges, et, alors qu’il repousse une mèche de cheveux de son large front, il te semble voir des griffes briller aux bouts de ses doigts et non des ongles.
Tu te dis que tu es ridicule. Si un gamin de 11 ans te terrifie à ce point, comment pourras-tu un jour venger ta sœur en tuant le monstre ?
Quand, enfin, tu poses les yeux sur la femme qui l’accompagne, un frisson te parcours l’échine. Bien sûr, elle est superbe. Une chevelure noire et abondante cours jusqu’à ses hanches, ses yeux sombres te semblent aussi un peu rougeoyants, sa taille est un peu plus large que ce que la société plébiscite depuis quelques décennies, mais n’enlève rien à la sensualité qui se dégage de chacun de ses mouvements. Elle prend la main que lui tend son époux, pose l’autre sur l’épaule de son fils, semble enfoncer ses ongles rouge sang dans leurs chairs, et pourtant aucun des deux ne réagit, comme s’ils ne ressentaient pas la douleur.
Mais, ce qui te marque le plus, est l’aura d’extrême dangerosité qui flotte autour d’elle.
Tu la vois très clairement te détailler de la tête au pied, et tu jurerais que par son léger mouvement du menton, elle approuve ta présence parmi eux. Quand elle lâche l’épaule de l’enfant, c’est pour te tendre sa main pâle. Tu la prends dans la tienne et la baises, surpris par son contact glacé.
Lord Van Ruth vous présente l’un à l’autre. Elle se nomme Veronika, étire ses lèvres vermillon et t’offre un sourire carnassier qui te glace encore un peu plus. En temps normal, tu sais que les hommes se battraient pour ses faveurs et tu te fais l’impression de n’être qu’un froussard. Est-ce sa beauté qui te paralyse ainsi ?
Vous vous installez tous les quatre dans les épais fauteuils et reprenez la conversation où elle s’était arrêtée. Lady Van Ruth interrompt régulièrement son mari pour ajouter des détails concernant leurs nombreux séjours à l’étranger. Elle t’explique venir d’un pays froid recouvert d’immenses forêts. Elle rit en racontant que c’est là qu’elle l’a rencontré, qu’elle a décidé d’en faire sa moitié et de l’accompagner dans son pays d’origine. Tout en parlant, elle emmêle ses longs doigts parfaitement manucurés à ceux de Richard et ils échangent un regard complice. Tu ne sais pas si tu les envies ou si tu préférerais fuir en courant, mais, clairement, tu n’es pas à ton aise.
Au bout d’une heure ou deux, la maîtresse de maison se lève et vous propose de passer au repas. Xavier, qui n’avait pas bronché jusque-là, écoutant patiemment ses parents ressasser leurs vieux souvenirs, saute hors de son fauteuil et te regarde avec une lueur malsaine dans les yeux. Décidément, tu n’aimes pas ce gamin.
Tu accompagnes tes hôtes jusqu’à la salle à manger, une pièce haute de plafond, plus claire et large que le salon. Une grande table en bois trône au milieu de celle-ci, mais aucun plat n’y est exposé, ni aucune assiette, aucun couvert. Tu te souviens alors que Lord Van Ruth t’as dit avoir donné congé à son personnel pour la soirée et te demande si tu dois proposer ton aide pour le service. Tu n’as jamais eu à faire ça de ta vie.
Richard claque des doigts et Elizabeth, la servante, sort de ce qui doit être la cuisine avec un chariot sur lequel sont posés verres et bouteilles, comme si elle attendait déjà derrière la porte le signe qui l’autoriserait à entrer. Elle le pousse jusque devant son maître, se penche dans ce qui ressemble vaguement à une courbette et retourne d’où elle est venue. Sa robe te semble encore plus rouge que la première fois que tu l’a vue. Mais un rouge plus sombre, comme si le sang avait coagulé. Son visage est plus pâle que la neige qui tombe au-dehors et, cette fois, tu as clairement vu une blessure dans son cou qui n’a été ni nettoyée, ni pansée. Personne ne semble s’inquiéter de l’état de la servante, et déjà Lord Van Ruth a rempli quatre verres d’un vin plus sombre que l’âme du monstre qui court toujours.
Il te sert en premier, puis son fils, et, enfin, sa femme et lui-même. Vous levez tous vos verres pour trinquer et tu as à peine le temps de te demander s’il est bien sage de faire boire un enfant de cet âge, que tu as besoin de tout ce qu’il te reste de self-control pour ne pas rendre l’alcool et tout ce que tu as pu ingérer ces 48 dernières heures. Le liquide est infect, et plus fort que tout ce que tu as pu boire un jour. La tête te tourne rapidement et tu te retiens à la table avant de tomber.
Veronika remarque ton état, elle s’en inquiète.
— Quelque chose ne va pas, Cher Ami ? Allongez-vous un instant.
Elle écarte une chaise, te pousse sur la table. Avant de fermer les yeux, tu vois le gamin se passer la langue sur les lèvres. Tu luttes un peu, surtout quand tu sens des doigts déboutonner ta chemise. On te fait te redresser un peu, te l’enlève. Tu es torse-nu sur la lourde table. Tu sombres avant d’avoir senti que quelqu’un délasse également tes godillots.
Tu restes inconscient 5 minutes. Ou peut-être 5 heures ou même 5 jours, pour ce que tu en sais. Et es réveillé par un liquide sucré s’écoulant dans ta gorge. Tu tousses, te retournes sur le flanc, ouvres les yeux pour découvrir que tu gis seulement habillé d’un caleçon sur la table. Toutes les chaises ont été repoussées, Lady Van Ruth est assise à tes côtés, elle te tient le poignet.
— Vous voilà réveillé, Cher Ami. Je préfère ça. Se nourrir sur un endormi, c’est comme le faire un mort. Elle secoue la tête, faisant danser ses boucles sombres. Aucun intérêt.
Elle passe la main dans tes cheveux, te sourit presque tendrement. Pendant une fraction de seconde, tu crois qu’elle va t’embrasser. Son visage s’approche du tien, tu entrouvres la bouche. Elle enfoui ses lèvres dans ton cou, ouvre la bouche. Et perce deux petits trous. La douleur est plus que supportable. Tu as l’impression de vivre quelque chose de hautement érotique. Tu n’as pas conscience de ce qu’il se passe.
Quand elle se retire, passe la langue sur ses lèvres ensanglantée, que tu vois les sillons rouge qui se dessinent sur son menton, descendent dans sa nuque, puis dans son décolleté, que tu ne te rappelais pas aussi provoquant, tu paniques. Enfin.
Tes yeux parcourent la pièce à la recherche d’une aide quelconque. Tu croises le regard de Lord Van Ruth, tu l’implores et il ricane. Un mouvement à ta droite te fait te retourner, le gamin est plus terrifiant que jamais. Il sautille d’impatience, les crocs révélés, les yeux plus rouge encore que dans la bibliothèque.
Tu as peur.
Veronika appelle son petit d’un geste de la main. Lui caresse les cheveux avant de l’embrasser sur le front.
— À toi, mon amour, lui susurre t-elle.
C’était l’autorisation qu’il attendait. Il se jette sur toi. Mords ton ventre, ton torse. Il te dévore telle une bête sauvage. Il n’a pas la douceur de sa mère, le sang ne lui suffit pas, il veut ta chair aussi. La douleur n’a rien à voir avec le picotement ressentit plus tôt. Tu hurles. C’est à peine si tu vois Richard s’approcher à son tour, enrouler un bras autour des hanches de sa femme, l’embrasser alors que ton sang empli encore sa bouche. Il lui souhaite un joyeux Noël. Elle le remercie pour ce cadeau si bien choisi, si joliment emballé. Puis elle reprend ton visage entre ses longs doigts, replonge ses crocs dans ta chair alors que son mari s’empare de ton bras, perce deux autres trous dans ton poignet.
Tu es persuadé que cette mort aurait pu être agréable s’il n’y avait pas eu l’enfant. Les adultes font ça bien, ils te vident petit à petit, t’auraient fait sombrer dans un sommeil tranquille. Mais le gamin te laboure toujours le torse. Tu n’as jamais eu aussi mal de toute ta courte vie.
Quand tu te réveilles, tu ignores combien de temps s’est écoulé. Tu commences par porter tes mains à ton ventre. Aussi incroyable que ça puisse paraître, il est encore là. Tu soulèves les draps, regardes ton corps. Il y a bien quelques cicatrices, beaucoup de cicatrices, pour être honnête, mais la douleur à disparu. Tu te lèves, entièrement nu et te met à arpenter la pièce où tu te trouves. Tu aimerais trouver un miroir, mais il n’y en a pas. Une arme alors ? Mais rien de tel non plus.
Ton ventre gargouille et tu as mal à la tête. Ça te semble bien faible comme conséquences de ce qu’il s’est passé. Il y a une fenêtre face au lit, tu ouvres les rideaux, il fait nuit et tu es à l’étage. Combien de temps est passé ?
Une clef dans la serrure, la porte qui s’ouvre. Tu ne penses même pas à te cacher, à te couvrir. Celui ou celle qui t’a amené ici t’a sauvé la vie.
La personne qui entre est pourtant la dernière que tu t’attendais à voir. Lady Van Ruth.
Tes lèvres se retroussent et tu grognes. Elle éclate de rire, entre et referme la porte à clef. Elle s’assied sur le lit, te fait signe de t’asseoir à côté d’elle. Tu ne bouges pas. Elle n’insiste pas, détourne la tête sans se départir de son petit sourire.
— Les choses vont changer, Arthur. D’ici au matin, tu devras prendre une décision.
C’est la première fois qu’elle t’appelle par ton prénom. Qu’elle te tutoie. Ça te fait quelque chose. Tu te dégoûtes d’être excité par si peu.
Elle se relève, sort et tu ne l’entends pas verrouiller la porte.
Elle t’as laissé des habits sur le lit, tu les enfiles et mets une grosse demi-heure à oser sortir dans le couloir. Tu reconnais illico celui-ci. La première chambre dans laquelle tu as été conduit se trouve deux portes plus loin. Tu décides de tenter le tout pour le tout et tu rejoins l’escalier. Tu ne croises personne, n’entends pas le moindre bruit. Tu le descends, sort dans le jardin. Tu pourrais t’enfuir. Mais la faim commence à te déranger sérieusement, tu te dis que tu pourrais passer par la cuisine, voler quelque chose. Tu pourrais même faire sortir la bonniche, lui sauver la vie. Il est évident qu’elle se fait battre. Tu retournes dans la maison, tes sens aux aguets. Personne dans la salle à manger, et la pièce attenante ressemble bien à une cuisine. Hélas, rien ne semble y avoir été cuisiné depuis des lustres. Une odeur t’attire cependant dans la réserve attenante. En ouvrant la porte, tu tombes sur la bonniche, ratatinée au sol tel un tas de chiffons. Tu n’as même pas besoin de te baisser pour prendre son pouls, elle est morte, il n’y aucun doute là-dessus. L’odeur qu’elle dégage est infecte et tu ressors de la petite pièce. Pourtant, sous l’odeur écœurante, il y en a une autre. Une qui t’attire même si tu ignores de quoi il s’agit. Tu vas pour y retourner quand une voix résonne dans la maison.
— Non.
Tu te retournes. Personne. Dans la salle à manger, peut-être ? Non, personne non plus. Mais, de là, tu sens autre chose. La même odeur que celle qui te poussait à retourner dans la réserve, mais en mieux. Tu t’y accroches, humes l’air et la piste à travers un dédale de pièce que tu ne connais pas. Tu descends des escaliers en colimaçon, déambules à travers couloirs et pièces. Ce sous-sol est gigantesque.
Quand tu arrives devant une large porte en bois, sculptée de centaines de têtes de corbeaux, tu sais que ce que tu cherches se trouve derrière. Ta faim s’est encore accentuée. Depuis combien de jours n’as-tu pas mangé pour te retrouver dans cet état ? Tu pousses la porte, te retrouves dans une salle d’eau. La plus grande que tu as jamais vue. La baignoire, creusée à même le sol et recouverte d’une mosaïque rouge et orange pourrait facilement accueillir 10 personnes. Peut-être encore davantage. Le sol est en pente et tu soupçonnes que l’eau doit arriver à un bon mètre cinquante tout au fond de la pièce. Plusieurs colonnes sculptées, posées à intervalles réguliers, cassent cependant la profondeur et il se pourrait que la piscine soit encore plus profonde par endroits.
Devant toi, une jeune femme blonde, apeurée et nue. Elle tente de cacher sa nudité comme elle peut, en croisant les bras et les jambes.
Tu sens l’odeur qui t’as amené ici. Celle qui tiraille ton ventre. L’humidité de la pièce, la vapeur qui s’échappe de trous dans le sol sous lequel circule une eau bouillante, l’accentue. Tu es presque sûr qu’elle provient de la fille. Tu t’approches d’elle. Elle sanglote. Tu voudrais lui dire de ne pas s’inquiéter, puis tu le fait. Tu retires la veste que tu portes, la poses sur ses épaules et elle s’en enveloppe. T’approcher autant d’elle a fait redoubler ta faim. Tu ne comprends pas pourquoi. Tu as presque envie de la mordre.
Soudain, les bruits de pieds qui s’ébattent dans l’eau. Tu cherches d’où cela vient et Veronika sort de derrière une colonne, entièrement nue, elle aussi. Elle est aussi belle que tu l’avais imaginé, peut-être même plus. Elle s’approche de la fille, tu te places entre elles, dévoiles tes crocs. Encore une fois, elle rit.
— Ne te rends-tu pas compte de ce que tu fais, mon bel Arthur ?
Que fais-tu ? Non, tu ne vois pas. Tu te retournes vers la fille, elle pousse un petit cri et s’éloigne de toi. Tu ne comprends pas pourquoi elle a peur de toi. Tu fais un pas dans sa direction et elle recule encore, se rapproche de la porte.
Elle ne l’atteint pourtant pas. Se relevant d’une alcôve où il était étendu, Richard l’attrape par les épaules. Elle crie de plus belle, fait tomber la veste. Ses mouvements transportent de nombreuses odeurs jusqu’à tes narines. Sa terreur, les phéromones de l’homme avec qui elle a passé la nuit dernière, la faim. Ta faim, qui grossit de minutes en minutes.
Lord Van Ruth a commencé à lui parler et elle s’est calmée. Tu sens que c’est lui qui l’apaise, tu te demandes pourquoi tu ne l’a pas senti quand c’est sur toi qu’il a effectué son petit tour de passe-passe. Tu te demandes s’il sait aussi parler aux morts. Si la servante était bel et bien morte la première fois où tu la vue.
Lady Van Ruth s’est rapprochée de toi, elle pose une main sur ton épaule et tu te retournes, agressif.
— À toi l’honneur, mon cher Arthur.
Elle désigne la fille de la main. Richard la rapproche de toi, prend son bras frêle et le porte à tes lèvres. Tu ouvres la bouche, tu as tellement envie de la mordre, d’aspirer le liquide chaud qui la fait vivre.
D’un mouvement violent, tu te dégages.
— NON ! Qu’est-ce que vous m’avez fait ? Pourquoi ?
Tu les regardes tour à tour, paniqué. Tu as failli mordre cette fille. Quel genre de mouche dézinguée à bien pu te piquer ?
Veronika soupire. Même avec cet air agacé, elle reste sexy.
— Ne me fais pas regretter mon choix, Arthur. J’ai dû batailler dur pour que Xavier ne t’abîme pas trop. Il a beaucoup de mal à s’arrêter quand il commence. Il faut dire qu’il est encore si jeune.
Elle prononce cette dernière phrase avec une tendresse qui te ferait vomir si ton estomac n’était pas absolument, irrévocablement vide.
La bouche pâteuse, tu arrives à demander :
— Vous…. Vous avez fait de moi… Un monstre… ?
— Oh. De suite les grands mots, se moque Richard. Disons plutôt que ma chère et tendre et moi-même nous languissions d’un nouveau compagnon de jeu. Et que tu es à notre goût à tous les deux.
— De plus, Xavier a besoin d’un précepteur qu’il ne pourra pas vider de son sang, ajoute Veronika d’un ton moqueur. Je suis persuadée que tu es assez instruit pour le devenir. Au moins pendant quelques années.
Donner des cours à cette bête furieuse ? Devenir leur « compagnon de jeux » et de tuerie ? Tu préférerais mourir. Et tu sens que c’est ce qui t’attend si tu ne te nourris pas de la fille.
Veronika n’est pas une femme patiente, et voyant que tu hésites toujours, elle repousse les cheveux de la blonde.
— Oh. Et puis fait ce que tu veux. Si ce n’est toi, ce sera un autre. Tu n’es pas le seul beau garçon de ce pays.
Tu vois ses dents, pointes blanches sur le rouge de ses lèvres, se tendre vers l’avant, plonger dans le cou fragile. Tu cries.
— NON !
Mais c’est trop tard. Le sang de la blonde coule sur sa nuque. Rouge, sucré, appétissant, bien trop attirant.
Ton cerveau, encore un peu humain, te cries de t’arrêter, de fuir, mais tes jambes avancent vers les trois êtres en pleine communion. Richard te tends le bras de la fille, tu le repousses, plonges le nez dans sa nuque, là où se trouve déjà le visage délicat de la Lady. Tes dents ajoutent deux petits trous dans la peau tendre. La première gorgée du liquide vital te prend aux tripes comme un orgasme. Totalement inattendu.
Tes aînés finissent par se retirer. S’allongent dans l’eau rougie et te regardent terminer ton premier repas de monstre.
Ta douce Jessica, où qu’elle soit, pourra-t-elle jamais te pardonner ?
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Crédit image d’illustration : Tama66
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